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Type de textesource
TitreLes Délices de l’esprit, dialogues dediez aux beaux esprits du monde
AuteursDesmarets de Saint-Sorlin, Jean
Date de rédaction
Date de publication originale1658
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, « Quatrième journée, Les delices des arts », p. 67

[[2:La perfection de la peinture, consiste en la parfaite imitation]]. Mais la perfection de ce bel art n’est pas en la vaste estenduë de sa puissance, mais en la parfaitte representation de chaque chose ; en quoy gist l’amour et le goust de la peinture. Car une mouche bien imitée et bien representée donnera plus d’amour et de goust à lui qui la regardera, que les grandes figures humaines, ou les campagnes, ou les mers, qui seroient mal representées. Je m’en vay, Philedon, te faire avoüer que les plaisirs charnels que tu estimois plus que toutes choses, sont bien peu de chose, puisqu’ils sont de beaucoup surpassez par le moindre des plaisirs que donne l’imitation.

PHILEDON — Comment cela se peut-il faire ?

EUSEBE — [[2:L’imitation est la plus agreable chose du monde]] Tu connois si peu les choses du monde, et tu es tellement attaché aux plus basses auxquelles tu t’es arresté, que iamais tu n’as pris garde que de toutes les choses du monde, il n’y en a point de si agreable que l’imitation. Et ie veux te faire avoüer qu’à toy-mesme elle a esté cent fois plus agreable, que tout ce que tu bois, et que tout ce que tu manges.

PHIL. — Iamais ie ne m’en suis apperceu encore.

EUS. — [[2:Plaisirs que l’imitation donne]] Souviens-toy de tes meilleurs repas, quand parmy les débauchez il s’en est trouvé quelqu’un d’un naturel boufon, qui ait sceu contrefaire parfaitement les actions ridicules d’un autre : n’est-il pas vray que toy mesme et tous les autres qui étoient à table, vous en avez oublié le plaisir de manger et de boire, pour estre attentifs à regarder cet homme plaisant, et pour admirer toutes ses grimaces et ses postures ; et que vous vous estes tous laissé emporter à des plaisirs excessifs ; et jusques à vous en pâmer de rire ?

PHIL. — Cela est tres-veritable.

EUSEBE — Tu me confesseras que c’estoit l’imitation qui te donnoit ce plaisir ; et que plus l’imitation estoit parfaite, plus tu augmentois ta joye, et plus nous en oubliions le boire et le manger. 

PHIL. — Ie confesse tout ce que tu dis.

EUS. — Tu vois donc bien que les plaisirs du goust et de l’attouchement ne sont pas les plus grands, comme tu les croyois ; puisqu’ils ne nous transportent pas de la sorte.

PHIL. — Il est vray que tu me fais considerer des choses que ie ne consideray encore iamais.

EUS. — Ie te feray bien considerer d’autres plaisirs dans les autres demeures, que tu n’as iamais connus ny imaginez. Tu vois donc que l’imitation parfaite est une chose tres-agreable. Et ne vois-tu pas combien de peuples s’amasse à regarder les saltimbanques dans les places publiques, et à écouter leurs farces, qui ne consistent qu’en imitation ? Il n’y en a pas un de toute la foule, qui n’en oublie ses affaires, le boire et le manger. 

PHIL. —  [[2:D’où vient que l’imitation donne tant de plaisir]] Il est vray que les hommes sont là si attentifs à voir cette imitation, et y prennent tant de plaisir, qu’ils en oublient toutes choses : et i’ay admiré cela cent fois, sans en sçavoir la cause. Mais d’où vient que l’imitation donne tant de plaisir ?

PHIL. — Mais d’où vient que l’imitation donne tant de plaisir aux hommes ?

EUS. — Je vais t’en apprendre la cause. C’est que chaque chose ayme tendrement son ouvrage : comme un pere et une mere ayment tendrement les enfans qu’ils ont produits. Dieu apres avoir creé toutes choses, trouva que tout ce qu’il avoit fait, estoit bon, et se plut en son ouvrage. La Nature est l’ouvrage de Dieu ; et Dieu ayme son ouvrage, et l’Art qui imite la nature, est l’ouvrage des hommes ; si bien que les hommes ayment l’imitation, par une secrette et tendre joye ; comme étant l’ouvrage et le plus heureux effort de l’esprit humain, qui sçait imiter Dieu, en imitant la Nature ; et l’homme par l’amour-propre qui le porte à aymer la gloire de son espèce, ayme l’imitation bien plus que la Nature mesme. Car si nous voyons un gueux bien contrefait dans un tableau, nous aymons bien mieux le tableau que le gueux mesme ; et toute personne ridicule bien representée en peinture, nous plaist beaucoup plus que la personne mesme ; et non seulement les choses ridicules, mais encore toute chose bien représentée dans un tableau, nous plaist bien plus que la chose mesme [...]. Pour revenir à nostre propos, il est certain que de l’amour de l’imitation vient le grand plaisir que donne la peinture, puisque plus elle imite parfaitement, plus elle donne de plaisir. [[2:Patience des grands peintres et sculpteurs de l’Antiquité]] Aussi les grands maistres de l’antiquité, soit pour la peinture, soit pour la sculpture, mettoient tellement leur ambition à imiter parfaitement la nature, qu’ils employoient plusieurs années à rendre parfait un seul tableau, ou une seule statuë. Et ceux qui ayment ces ouvrages, employeroient, s’ils pouvoient, autant d’années à les regarder et à les admirer, sans songer ny à manger ny à boire, que ces maistres en ont employé à les mettre à ce point d’excellence.

Dans :Cadavres et bêtes sauvages, ou le plaisir de la représentation(Lien)

(t. II, livre I), p. 21-25

Je vous diray en peu de mots l’origine de ce bel art de la peinture. Perdix neveu de Dédale servoit à conduire tous les ouvrages ; un jour Apollon le trouva qui traçoit un dessin contre un mur ; et pource qu’il avoit le soleil à son dos, l’ombre de son corps paraissoit attachée contre le mur. Mon fils l’ayant quelque temps considerée, pria Perdix de demeurer en la mesme posture ; et cependant avec un charbon il traça contre le mur toutes les extrémitez de l’ombre, et forma une figure avec la mesme action que Perdix avoit en faisant son ouvrage. Depuis ce temps-là il se plût à tracer à l’ombre du Soleil plusieurs autres postures, avec les diverses situations des testes, et les différentes actions des mains. Mais pource que l’ombre ne marquoit que les extrémités, et ne pouvoit faire voir ny les yeux, ny la bouche, ny quelques autres parties, il suplea à ce défaut, en regardant la personne mesme, et en imitant ces parties, qu’il remplissoit sur la figure qu’il avoit tracée. Alors il trouva que cette imitation de la personne, étoit un moyen plus assuré et plus juste pour representer au naturel; pource que l’ombre faisoit ordinairement les figures plus grosses ou plus longues qu’elles n’estoient. Ainsi il se plaisoit à imiter diverses personnes ; et Perdix qui taschoit à le suivre en toutes ces sortes d’arts, s’exerçoit aussi bien souvent à tracer des figures : mais ils trouvoient tous deux que cette imitation de la Nature, n’estoit pas si parfaite, que celle par le moyen de la sculpture, qui representoit le relief. Toutefois Apollon ne voulant pas laisser cet art imparfaict, considéra que les choses ne paroissent relevées que par le moyen des jours et des ombres, et qu’en representant ces jours et ces ombres, le relief pourroit estre representé. Ainsi peu à peu il donna de la force à ses figures par les ombres ; mais elles estoient encore bien imparfaites, pource qu’ils ne representoient rien qu’avec du charbon ou de la pierre noire ; et il eust bien voulu representer la couleur aussi bien que l’action. Enfin dans ses voyages il trouva en diverses mines de metaux, du vermillon, de l’azur, du blanc, du vert, et plusieurs autres couleurs, qu’il destrempa avec de l’huile ; et par le meslange qu’il fit des unes avec les autres, il en composa une diversité infinie, par le moyen desquelles il faict maintenant representer toutes choses avec tant de justesse, qu’il semble que ce soit la nature même. Il fit alors assembler de grandes tables, qu’il appella tableaux, pour y faire ses peintures, afin de les pouvoir placer aux lieux qu’il luy plairoit ; et c’est ainsi qu’il a fait faire par ses ouvriers ces belles representations que vous voyez dans ces quadres.

Dans :Les origines de la peinture(Lien)